Rapports interdits sur le X

S'il faut rouvrir le dossier X le plus brûlant, celui des rapports entre Mulder et Scully, c'est moins pour ébruiter les commérages sur les affaires de coeur entre collègues de bureaux du FBI, que pour tenter de comprendre comment Chris Carter parvient à maintenir l'intérêt sur cette question sans jamais donner d'issue à un suspense qui dure depuis des années. Comment cette légère tension érotique entre les deux personnages principaux peut-elle s'auto alimenter sans lasser ou impatienter le public, à raison de six saisons de plus de vingt épisodes chacune, lorsque développer au ralenti l'intrigue amoureuse reviendrait à concéder les miettes microscopiques d'un gâteau de mariage. Dans ces conditions, la "situation familiale" des deux agents fédéraux a peu de chances d'évoluer. Mais bien sûr, le plaisir compensatoire offert par l'humour et l'habileté des scénaristes explique en partie l'absence d'une véritable frustration dans le coeur des X-Philes. Chris Carter excelle dans l'art de différer ou d'éviter au dernier moment le rapprochement entre les deux partenaires. Cette maîtrise parfaite de la feinte s'illustre idéalement dans une belle scène du long-métrage X-Files, celle du baisé volé (au spectateur) par une abeille. Subterfuge subtil car il esquive le coup d'arrêt du conte de fée en le narrant à l'envers. Dana, contrairement à la Belle au Bois Dormant, n'est par réveillée par un baiser mais endormie par une piqûre alors que les lèvres du prince (Mulder) allait la toucher. Et ils ne se marièrent pas et n'eurent pas beaucoup (ni même peu) d'enfants... pour que le récit puisse se poursuive indéfiniment. Ils ne peuvent convoler en juste noce, parce que les histoires d'amour finissent mal, en général, et que les couples des séries doivent rester de marbre sous peine de se séparer aussitôt après les étreintes. Buffy, la chasseuse de vampires, en a fait la douloureuse expérience. Après avoir passé une seule nuit d'ivresse avec elle, son soupirant suceur de sang Angel perd son âme et redevient son ennemi. Et la voilà forcée de le supprimer pour de bon ... Une loi cruelle mais nécessaire parce que l'instant le plus fort est celui qui précède l'action, et que le moment suivant correspond à une baisse d'intensité.

L'amour par procuration

Mais la ruse employée le plus souvent dans l'actuelle saison consiste à relativiser l'importance de la preuve d'amour montrée à l'écran. Duchovny et Anderson paraissent sceller définitivement une union que le scénario infirme après coup ou simultanément : était-ce vraiment Scully ? Etait-elle constante ? Avons-nous assisté à un rêve ? De même, dans La queue du diable, Scully ne résistait pas aux avances de Mulder, mais il ne s'agissait pas du vrai Mulder... Si cette passion ne peut s'épanouir, c'est aussi parce que la série a besoin, pour durer éternellement (ou presque), de revenir au statut quo inhérent à chaque épisode. Là encore, il faut admirer l'adresse avec laquelle Chris Carter manipule le public, tant cette sarabande est parfois jubilatoire. Dans cette (avant-dernière ?) saison, les épisodes semblent piaffer d'impatience, décrire des cercles comme de lions en cage. Le seul but des protagonistes de Zone 51 est de retourner à l'endroit précis où tout a commencé et de même, dans Triangle, où Mulder doit faire littéralement machine arrière pour revenir dans le Triangle des Bermudes afin de réintégrer son époque. Prisonniers d'une maison hantée dans Les amants maudits, Mulder et Scully franchissent des portes pour déboucher toujours sur la même pièce, atteignant le "sur-place" absolu avec Lundi en recommençant toujours la même matinée.

La queue du diable
Zone interdite

Dans ce contexte, la valse-hésitation de Dana et Fox s'apparente à une parade amoureuse. Ils s'approchent et s'éloignent l'un de l'autre, s'attirent et se repoussent, se perdent et se retrouvent au détour d'un couloir ou d'une coursive d'un paquebot, chacune de leurs rencontres créant l'évènement. Elle est explosive dans la banque de Lundi, extraordinaire dans Triangle, sanglante dans Les amants maudits, où se rejoue, à l'ombre, la fin splendide de Duel au soleil. Quant aux rendez-vous de Zone 51, ils conduisent à une déchirante arrestation musclée de Mulder et à un bouleversement total de celui-ci, sur une route perdue du Nevada. L'idylle des deux agents fédéraux porte le même tatouage que Dana dans Jamais plus (4e saison), un serpent qui se mord la queue... Mais le duo est également marqué par des connotations incestueuses qui alertent aux moindres mouvements de tendresse. Une impression qui tient peut-être à ce goût du fruit défendu concocté par les auteurs d'X-Files, et aussi au comportement de Mulder et Scully, proche de celui d'une mère et de son fils. Les scénaristes usent de cet argument lorsqu'ils associent Scully à une "Madone du Titien" (A coeur perdu) ou que Mulder a l'air particulièrement séduit par un double de Dana surgi d'une époque ancienne : aimerait-il une femme plus âgée à travers Scully ? Dana se substitue d'ailleurs tout autant, sinon plus, à la soeur de Fox, Samantha, dont elle a partagé le sort : l'enlèvement par des extraterrestres. Toute la vie de Mulder s'est engouffrée dans le vide affectif laissé par sa soeur kidnappée et c'est bien sûr vers elle qu'il se projette en suivant la voie du paranormal. Dans X-Files, la norme, le standard, intègrent les règles, alors que l'inceste et le paranormal illustrent les fantasmes incestueux. En conséquence, la zone privilégiée où leurs émois peuvent s'exprimer se situe dans le rêve (Triangle, Spores), « over the rainbow » (Le roi de la pluie) et dans tous les lieux où le surnaturel règne : demeure habitée par des fantômes, triangle des Bermudes, ... Les «propositions » irrationnelles de Mulder, jadis repoussées avec véhémence par Scully, sont autant d'invites qu'elle récuse de plus en plus faiblement et reprend à son compte en l'absence de son partenaire. Elle lui sert souvent de contrepoint ainsi qu'elle le constate elle-même et le spectre dans Les amants maudis n'a pas tout à fait tort d'affirmer qu'elle n'existe qu'à travers son coéquipier. De fait, la sixième saison semble parfois la gâter beaucoup moins que Mulder, lequel a la possibilité de révéler toujours plus sa personnalité, la pauvre Scully héritant, elle, parfois, d'interminables textes lénifiants (le pêché mignon de Chris Carter).

    
Une idylle aux frontières du réel :
 
Mais au fait, si l'amour teinté d'inceste qui nous occupe se confond avec le fantastique, ne devrait-il pas être partout ? Certes, et c'est la raison pour laquelle les relations entre Mulder et Scully nous comblent depuis des années. Nous éprouvons plus ou moins consciemment le sentiment que leur bonheur est déjà là, même si tous les facteurs qui le composent sont déformés et disséminés. Il est présent, mais de façon aussi insolite et subtile que certains éléments ou créatures le sont dans un univers fantastique. En regard de ce couple chimérique et contre nature, les époux «normaux » apparaissent sous le jour beaucoup plus défavorables. Le lit douillet des fiancés se transforme en tombeau (Spores) et l'accouchement d'une femme acariâtre reflète la matérialisation d'une ignoble bête (Agua Mala). X-Files, à l'instar des rêves, est manipulé par une censure qui brouille la représentation du désir interdit par des inversions (la permutation des personnages de Zone 51), et toutes sortes de déplacements. Ainsi, Scully prétend décrire les sentiments de Karin Berquist, mais parle certainement des siens : « En quelque sorte, elle te considérait comme une âme sœur. Elle n'a peut-être pas été capable de te l'exprimer" dit-elle à Mulder (Entre chien et loup). Dans le roi de la pluie, nos deux tourtereaux dansent un slow par procuration : ils regardent dans la même direction (deux amoureux enlacés) tout en battant le rythme de la musique. Le néophyte qui traduit les indices d'une liaison le temps d'un épisode ne voit rien, il faut englober du regard l'ensemble des frontières du réel pour que se dessinent les limites du jardin secret de nos deux héros. A l'aide de deux magnétoscopes, chaque X-Phile peut facilement remonter sa propre love-story avec le baiser de Triangle, les attitides révélatrices d'Entre chien et loup (Mulder posant naturellement sa main sur Scully, celle-ci le taquine en lui piquant son journal). De même, il est aisé de retracer les étapes et les avatars de leur existence commune, de feuilleter leur album de famille : la première maison (Bienvenue en Arcadie), la jalousie (Le commencement et Biogenèse, Entre chien et loup, A coeur perdu), leur enfant : l'E.T. dans l'appartement de Mulder de Spores, leur progéniture incestueuse ne pouvant être que paranormale ! Alors qu'ils avaient déjà vieilli ensemble dans le Vaisseau fantôme, la sixième saison nous donne un aperçu de leur mort (Les amants maudits) et de leur résurrection (Spores). Ce dernier épisode nous conduit peut-être même au-delà, lorsque dans une communion d'esprit qui confine à la télépathie et que l'on prête aux couples parfaitement harmonieux, Mulder tend la main à Dana qui, les yeux fermés, lui donne la sienne. Chris Carter peut nous préparer toutes les surprises et les fausses pistes qu'il voudra, nous savons que Mulder et Scully s'aiment déjà, et qu'ils s'aimeront toujours, paranormalement.
 

 article de "L'écran fantastique"

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